Comprendre les réactions neurologiques face au danger : un indispensable préalable à l'accompagnement des victimes.

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La connaissance des mécanismes neuro-biologiques qui s'opèrent chez la victime de violence conjugale et sexuelle est la clé de la compréhension des réactions d’une femme. Elle permet de déculpabiliser cette dernière mais également de ne pas céder aux a priori négatifs trop souvent véhiculés (pourquoi elle n'a pas crié, pourquoi elle n'a pas dit non, pourquoi elle n'est pas partie ?)

Muriel SALMONA, psychiatre spécialiste de la mémoire traumatique, explique parfaitement les conséquences psycho-traumatiques des violences.
 

Il convient de se pencher plus en détails sur ce qu'il advient dans le cerveau d'une personne victime de violence.

Le système limbique, appelé parfois cerveau limbique ou cerveau émotionnel, est le nom donné à un groupe de structures de l'encéphale jouant un rôle très important dans le comportement et en particulier dans diverses émotions comme l'agressivité, la peur, le plaisir ainsi que la formation de la mémoire.

« Limbe » signifiant « frontière » le système limbique est une interface anatomique et fonctionnelle entre la vie cognitive et la vie végétative.
 

L’amygdale contrôle l’expression des réponses émotionnelles, elle secrète de l’adrénaline et du cortisol dans le cerveau pour préparer l’organisme à affronter le danger. C’est cette structure qui va rentrer en jeu dans le psychotraumatisme.
 

En cas de danger, de peur, cette amygdale « s’allume » de manière automatique et inconsciente. Elle sécrète alors des hormones de stress. Dans une situation de peur « normale » (un bruit qui nous fait sursauter par exemple), l’amygdale est en principe contrôlée, régulée, par le cortex pré frontal (la partie pensante du cerveau) ce qui fait descendre le stress. Le souvenir est alors enregistré dans la mémoire consciente via l’hippocampe qui permet d’associer le bruit qui nous a fait peur à un bruit de tonnerre et, par la même, de rassurer l’organisme.

Mais en cas de danger extrême, le cortex se bloque, se paralyse, il est sidéré : c’est ce qu’on appelle la sidération et c’est ce qui empêche la victime de crier, de se défendre, de fuir, de dire non. Comme l’amygdale n’est plus contrôlée par le cortex (puisque ce dernier est "paralysé"), elle ne s’éteint pas. La victime est alors envahie par un état de stress extrême très dangereux pour ses organes vitaux. En effet, on peut mourir d’un arrêt cardiaque lié au stress.
 

Muriel Salmona parle « d'une effraction psychique responsable d'une sidération psychique. Le non-sens de la violence, son caractère impensable sont responsables de cette effraction psychique, ce non-sens envahit alors totalement l'espace psychique et bloque toutes les représentations mentales. La vie psychique s'arrête, le discours intérieur qui analyse en permanence tout ce qu'une personne est en train de vivre est interrompu, il n'y a plus d'accès à la parole et à la pensée, c'est le vide... il n'y a plus qu'un état de stress extrême qui ne pourra pas être calmé, ni modulé par des représentations mentales qui sont en panne ».

Alors, pour assurer la survie de l’organisme, le cerveau va mettre en place des mécanismes hors normes.

Le cortex va libérer des endorphines afin d’anesthésier cette amygdale qui continue d'être allumée à l'extrême : c’est ce qu’on appelle la dissociation. Il s’agit tout simplement d’une technique de survie psychique pour ne pas mourir de peur, de stress. La victime ne ressent alors plus rien ni physiquement ni émotionnellement. Elle ressent que son corps est là mais sa pensée est ailleurs. Elle peut également avoir le sentiment d’être « sortie de son corps», de ne plus sentir son corps alors qu’elle voit tout, de croire que ce qui arrive n’est pas réel...
 

Mais ce n’est pas parque ce que l’amygdale est anesthésiée qu’elle est éteinte. Au contraire, elle reste allumée tant que perdure le danger, installant la dissociation traumatique à long terme.
 

C’est cette dissociation qui permet aux victimes de subir aussi longtemps les violences. C’est d’ailleurs à cause de cette dissociation que les victimes peuvent rester victimes toute leur vie, acceptent l’inacceptable car cet état les empêche de se protéger. Les victimes ne disposent plus de leur "alarme intérieure" qui leur permet de reconnaitre une situation de danger et de se protéger.
 

La dissociation va empêcher que le cerveau stocke correctement ce qui s’est passé et le mémorise normalement via l’hippocampe qui est également « hors service ». Les évènements traumatiques ne sont pas pris en charge par l’hippocampe et restent bloqués dans l’amygdale. Les souvenirs sont alors en morceaux ce qui explique que la victime puisse avoir oublié tout ou partie des violences qu’elle a subies.
 

De plus, comme l’amygdale est devenue hypersensible, elle reste allumée au moindre évènement rappelant la situation de violence que cet évènement soit minime (un bruit, une odeur, une sensation...) ou pas. Et lorsque cette amygdale se rallume, la victime ressent la douleur comme si elle la revivait, avec le même état de stress intense. C’est ce qu’on appelle la mémoire traumatique : il s’agit d’une véritable torture pour la victime puisqu’elle revit à l’identique les violences qu’elle a subies.
 

Pour éviter de déclencher cette amygdale et de revivre les violences via cette mémoire traumatique, la victime va mettre en place, de manière inconsciente, des stratégies de survie :

  • L’évitement : la victime va éviter tout ce qui pourrait déclencher cette mémoire traumatique. La victime ne fait plus rien, ne sort plus, se replie socialement et affectivement, devient phobique.

  • L’hyper vigilance : la victime est en état d’alerte permanent, se montre méfiante, a la sensation d’être tout le temps en danger. Cette situation entraine d’importants troubles du sommeil, des tensions musculaires, des troubles de la concentration et de l’attention.

  • La dissociation : lorsque malgré ces techniques de contrôle, la mémoire traumatique continue à se déclencher, la victime va chercher à provoquer la dissociation elle-même afin de ne plus ressentir la douleur. Les moyens sont multiples : automutilations, prises de drogues, d’alcool, de médicaments. La victime cherchant à recréer l’état de dissociation vécu lors du traumatisme, laquelle s’est produite par un état de stress et de peur intense, elle peut également avoir des conduites dangereuses reproduisant le traumatisme initial (se mettant en danger ou mettant en danger l’autre, raison pour laquelle les auteurs de violence sont souvent eux-mêmes des victimes de violence et cherchent, par l’agression, à éteindre leur propre mémoire traumatique).

    Tous ces mécanismes sont neurologiques. Ils sont totalement indépendants de la volonté de la victime qui ne fait que les subir. Dire à la victime : « voilà pourquoi vous réagissez de cette façon », « votre comportement est dû à telle réaction physiologique » est extrêmement rassurant pour elle et termine le processus de déculpabilisation.